De l'aubépine au muguet, les fleurs du premier mai

By Wikimedia [CC-BY-3.0]

Le muguet, dont la tradition remonterait à la Renaissance et à Catherine de Médicis et Charles IX, est aujourd'hui associé au 1er mai, jour symbole du mouvement ouvrier. Non seulement il n'en a pas toujours été ainsi, mais l'histoire du muguet telle qu'on la trouve en faisant une recherche sur Internet semble davantage s'appuyer sur une imagerie d'Epinal que sur de véritables fondements historiques. Voici donc une tentative de reconstitution à partir de ce qu'on trouve sur le sujet.

Maria Blondeau, la jeune fille de 18 ans dont le corps est resté sans vie, avec huit autres, sur la place de la mairie de Fourmies le 1er mai 1891, serait tombée en brandissant un bouquet d'aubépines, fleur printanière du Nord (voir l'article sur la fusillade de Fourmies). C'est le sacrifice de sa jeunesse et de son innocence qu'exalte la célèbre chanson populaire Les fiancés du Nord, en ce "premier jour du mois des fleurs". Certains sites affirment que ce n'est pas une aubépine mais une églantine que la jeune fille tenait à la main. Il est vrai que ces deux fleurs sont souvent confondues.

En réalité, en 1891, ce n'est ni l'aubépine ni le muguet qui sert de symbole au 1er mai, mais un petit triangle rouge symbolisant la division de la journée en trois fois huit heures, pour le travail, le loisir et le sommeil, en référence au 1er mai de Chicago et au massacre de Haymarket Square.

Eglantine écarlate

By Wikimedia [CC BY-3.0]

En 1895, le socialiste Paul Brousse aurait lancé un concours auprès des lecteurs de son journal pour leur demander de choisir un symbole pour le 1er mai. C'est l'églantine écarlate qui se serait imposée, en référence au sang des ouvriers mais aussi au poète et dramaturge Fabre d'Eglantine, un des auteurs du calendrier républicain de 1793, qui proposait d'instaurer (le 26 avril et non le 1er mai) un jour du Travail.

A partir du début du XXè siècle, les couturiers parisiens auraient lancé la mode d'offrir du muguet à leurs clientes et à leurs petites mains. La presse aurait contribué à promouvoir cette fleur comme symbole du 1er mai et c'est bien le muguet qui se serait imposé dans les défilés à partir de 1907 et qui aurait dominé en 1936. Vichy, qui instaure officiellement la fête du Travail, aurait simplement entériné le symbole. Les syndicats, attachés à l'églantine et au triangle rouge et peu enthousiastes à l'idée de reprendre un symbole désormais associé à Vichy, auraient fini, dans la seconde moitié du XXè siècle, par reprendre à leur compte le muguet de mai.

Derrière cette imagerie, on voit que le muguet du 1er mai, comme avant lui les couleurs du drapeau français, est au cœur d'une querelle des symboles, notamment entre le rouge du mouvement ouvrier, que l'on retrouve avec le triangle et l'églantine écarlate, tandis que le blanc renvoie à des références plus universelles qu'on peut même faire remonter à l'Ancien régime. Si le muguet s'impose effectivement en 1936, il le fait dans le cadre de cette querelle. Le muguet dit "rouge" (c'est-à-dire assimilé à l'iconographie du mouvement ouvrier) des syndicalistes, s'oppose à un muguet blanc, républicain et porteur d'unanimité. Quant au premier mai 1936, c'est un premier mai particulier, entre deux tours d'élections législatives, dans un contexte de rapprochement des socialistes et des communistes, de Front populaire et donc d'institutionnalisation par la République du mouvement ouvrier à travers ses représentants élus. Le muguet de 1936 est donc bien un muguet de la réconciliation affichée du mouvement ouvrier et de la République, un muguet qui occulte le conflit (1). 

1-Voir l'article de Miguel Rodriguez, "Le premier mai 1936, entre deux tours et deux époques", Vingtième siècle, 27/27, p. 55-60. Lire l'article sur Persée.

Voir également Danielle Tartakowsky, La part du rêve. Histoire du premier mai en France, Paris, Hachette, 2005, disponible en Google Book.