Fiche technique
Titre : Imitation Game
Durée: 1h55
Réalisateur: Morten Tyldum
Pays de production: Etats-Unis, Royaume-Uni
Sortie : 28 janvier 2015
Acteurs principaux: Benedict Cumberbatch, Keira Khnightley, Matthew Goode, Mark Strong
Genre : Biopic, drame historique et sentimental
Résumé
1951. Alan Turing, professeur de mathématiques dans la prestigieuse université de Cambridge, est assis dans un commissariat en face d'un policier qui se prépare à l'interroger. En parallèle, une voix off s'adresse à des auditeurs inconnus en leur intimant l'ordre d'écouter sans interrompre ou de quitter la salle.
1940. Alan Turing, jeune prodige des mathématiques, âgé de 26 ans, se présente à un entretien d'embauche un peu atypique: il veut aider l'armée britannique à déchiffrer les messages radios nazis codés avec une machine appelée Enigma.
Embauché avec d'autres experts, il a du mal à se faire accepter par l'équipe, en raison de ses comportements asociaux. Mais tout change lorsqu'il recrute Joan, une brillante mathématicienne qui a réussi un concours de mots croisés.
Le film déroule l'histoire du décodage d'Enigma grâce à une machine inventée par Turing sur fond d'une idylle romantique entre lui et Joan et de flashbacks de son enfance malheureuse.
Une fiction historique bien ficelée...
Imitation Game est une belle fiction qui sait créer le suspense et l'émotion par un jeu sur les temporalités: se mêlent en effet un récit ultérieur, relaté par Alan Turing, qui revient sur son passé en voix-off, et le déroulé de sa rencontre avec Enigma. Morten Tyldum sait bien entremêler également la grande et la petite histoire: le drame de l'enfance malheureuse de Turing, enfant persécuté et amoureux d'un autre garçon, emporté prématurément par la tuberculose, le drame de la rencontre de cet homme asocial avec les autres et notamment avec celle qui devient sa fiancée et le drame plus large que constitue la Seconde guerre mondiale.
Ainsi, Imitation Game est avant tout une biographie, celle du mathématicien Alan Turing, considéré comme le précurseur de l'informatique. De ce point de vue, il est une contribution à l'histoire des sciences.
Mais d'autres drames historiques se nouent dans la fiction. A travers le personnage de Joan Clarke, se lit l'histoire des femmes. Bien que ces dernières aient commencé, à la fin du XIXè, en Angleterre, à fréquenter les université, elles restent tributaires de leur famille et des normes (voir Glossaire) morales, qui décident pour elles de ce qui est décent ou non, limitant ainsi leurs possibilités professionnelles. Le film fait aussi une histoire de l'homosexualité, qui n'est dépénalisée en Angleterre qu'en 1967 et qui, jusqu'à cette date, vaut à ceux qui s'en rendent coupables des peines d'emprisonnement ou l'obligation de subir un traitement chimique. Il est une contribution à l'histoire de la cryptologie (l'art de chiffrer les messages pour en assurer le secret) en contexte militaire. Il est enfin, et surtout, une histoire de la Seconde Guerre mondiale.
Le film commence en effet sur fond de Bataille d'Angleterre et de Blitz. Il s'agit de la tentative, menée entre juin 1940 et juillet 1941, par l'Allemagne nazie, de détruire les infrastructures militaires et civiles britannique pour préparer l'invasion de l'île. Cette phase de la guerre se marque par d'intenses bombardements sur les grandes villes industrielles et portuaires, dont bien sûr la capitale, Londres. Les Anglais réagissent par l'évacuation des enfants vers les campagnes (une des premières scènes du film) et par l'organisation d'alertes pour les civils, qui se réfugient notamment dans le métro de Londres. Le gouvernement, dirigé par Churchill, qui succède à Chamberlain en mai 1940, organise la résistance, ou "Home Front" (front de l'intérieur): les Britanniques sont appelés à ne pas se laisser intimider par la violence nazie et à résister à la tyrannie au nom de la liberté. Mais le véritable arrière-plan du film est ce qu'on appelle la Bataille de l'Atlantique. Cette bataille, qui est en fait une véritable guerre navale qui traverse l'ensemble du conflit, de 1939 à 1945, oppose les sous-marins (U-Boote) nazis aux navires à destination des Îles Britanniques et de l'Europe de l'Ouest, au départ pour détruire l'aide américaine (industrielle et alimentaire) puis les contingents américains et pour couper le Royaume Uni de son empire colonial, autrement dit de son approvisionnement économique.
Mais un film historique manqué
Mais tout faisant un tableau fidèle et relativement complet de l'Angleterre de la Seconde Guerre mondiale et en retraçant avec fidélité des événements restés secrets et déclassifiés seulement à la fin du XXè s., Imitation Game peine à se poser en véritable film d'histoire. Il lui manque une contextualisation mieux appuyée et une véritable mise en perspective historique. En effet, la thèse principale du film pourrait, caricaturalement, être exprimée de la façon suivante: c'est les mathématiques, les véritables vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Prise à l'envers, cette affirmation pourrait aboutir à l'idée suivante: si les Allemands avaient été plus forts en maths, ou s'ils avaient eu Alan Turing, ils auraient gagné la guerre. La question n'est pas de savoir si c'est vrai ou faux, puisque l'histoire est déjà faite. Non, le véritable enjeu, c'est de réintroduire d'autres éléments d'explication et d'évaluer leur importance dans le déroulement des faits.
Les historiens considèrent que la contribution de l'équipe qui a su "casser le code" d'Enigma a permis de raccourcir la guerre de 2 ans. Mais il faut prendre en compte, dans la victoire des Alliés, une multiplicité de facteurs, laissés dans l'ombre ou simplement évoqués dans le film.
Le premier est la situation internationale. D'un point de vue territorial et économique, l'Allemagne nazie est relativement isolée, malgré la conquête par elle et son allié Japonais d'une partie des empires coloniaux de l'Occident. L'insuffisance des approvisionnements allemands, notamment à partir de la perte de l'Afrique française en 1942, est un élément important de la victoire alliée. Ensuite, d'un point de vue stratégique, l'Allemagne, à partir du moment où elle se retourne contre l'Union soviétique (rompant en juin 1941 le pacte germano-soviétique), provoque l'alliance improbable entre l'URSS et le camp occidental, renforcé, à partir de décembre 1941, par l'entrée en guerre des Etats-Unis (après l'attaque japonaise sur Pearl Harbor).
Le second élément à prendre en compte est d'ordre idéologique. On ne peut pas dire que le film omette complètement cet aspect, puisque la défense de l'Europe libre contre la tyrannie nazie apparaît comme un véritable fil conducteur, y compris lorsque se pose le dilemme de savoir si on doit accepter le sacrifice de vies humaines qui auraient pu être sauvées au nom d'un objectif plus grand. Malgré tout, l'idéologie libérale opposée à la tyrannie nazie est posée comme une évidence. Le film omet de dire que c'est en partie grâce à des empires coloniaux qui ne sont pas l'incarnation des idéaux de liberté que la guerre est gagnée. Il oublie aussi que le prix payé par l'Europe pour sa victoire a été l'alliance avec un régime totalitaire: le communisme stalinien. En prétendant que l'alliance des bonnes intentions libérales et de la science suffit à gagner les guerres, le film nous offre une vision enchantée de notre passé, mais aussi une vision naïve, qui est celle de la propagande de guerre occidentale. Si cette propagande est bien sûr intéressante comme objet historique, elle est ici prise au pied de la lettre, ce qui est tout le contraire du travail de l'historien.
Allez donc voir Imitation Game. Vous passerez un moment sans doute très agréable et vous apprendrez des choses. Mais n'oubliez pas d'amener avec vous l'historien critique que vous êtes en train d'apprendre à devenir. Après tout, ce film est aussi un morceau de l'histoire de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale!
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