Utiliser l'article 49-3 pour faire passer un projet de loi sans vote


Les faits

Le mardi 17 février, le Premier ministre socialiste Manuel Valls a décidé d'utiliser l'article 49-3 pour faire adopter le projet de loi Pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances (surnommé loi Macron, du nom du ministre de l'Economie et des Finances).

L'article 49-3 de la Constitution autorise en effet le Premier ministre à engager la responsabilité du gouvernement pour faire adopter un projet de loi sans vote préalable au Parlement (Assemblée nationale et Sénat). Si l'Assemblée nationale ne dépose pas dans les 48 heures une motion de censure ou si cette motion de censure n'est pas votée à la majorité, le projet de loi est considéré comme adopté.

L'opposition de droite (UMP) a déposé une motion de censure, soutenue par l'UDI (centre droit), le Front de gauche (gauche radicale) et le FN (extrême-droite).

 

Pour approfondir:

Le site du Gouvernement fournit une explication détaillée du recours à l'article 49-3.

Le texte du projet de loi est consultable sur le site de l'Assemblée nationale.

Le texte intégral de la Constitution de 1958 peut être consulté sur le site du Conseil constitutionnel. 

Comment se fabrique la loi sous la Vè République?

En France, sous la Vè République, le pouvoir législatif appartient principalement au Parlement, composé de l'Assemblée nationale et du Sénat.

L'initiative des lois (c'est-à-dire le droit de proposer des textes de loi) appartient à la fois au Gouvernement et au Parlement: le Gouvernement dépose un projet de loi sur le Bureau de l'une des deux Chambres du Parlement, le Parlement dépose une proposition de loi sur le Bureau de l'Assemblée nationale.

Dans la pratique, la majorité des propositions de loi émanent du Gouvernement, conformément à son rôle de détermination de la politique générale du pays.

Mais c'est le Parlement qui adopte les lois, à une exception: les lois référendaires (c'est-à-dire adoptées par référendum). Le gouvernement peut également, de façon exceptionnelle, au titre de l'article 38 de la Constitution, légiférer (c'est-à-dire adopter des lois) par ordonnance dans un domaine bien délimité et après habilitation par le Parlement. Les recours à l'article 38 se sont fortement accentués depuis les années 2000.

Le projet ou la proposition de loi une fois déposé(e) est amendé(e) (c'est-à-dire modifié(e)) par les deux Chambres puis soumis(e) au vote dans chacune. Une fois le texte adopté, il est promulgué par le Président de la République dans les 15 jours. Il devient effectif après sa publication au Journal officiel. Des décrets d'application permettent sa mise en oeuvre. 

 

Pour approfondir:

On peut consulter les étapes de préparation d'un projet de loi sur le site du Sénat.

On peut aussi prendre connaissance des étapes de l'adoption d'une loi par le Parlement sur le site Vie Publique.fr. Le site de l'Assemblée nationale propose un article plus complet et plus détaillé sur le même sujet.

Le Sénat propose un article très détaillé sur la légifération par ordonnances et l'article 38.

Pourquoi un gouvernement majoritaire choisit-il d'avoir recours à l'article 49-3?

En 2015, l'Assemblée nationale compte 577 sièges. La majorité socialiste dispose de 288 sièges, c'est-à-dire la moitié. Pour être adopté, un texte de loi doit recueillir la majorité absolue (c'est-à-dire la moitié+1) donc 289 voix. Or la majorité socialiste est divisée sur le projet de loi. 

En engageant sa responsabilité, le gouvernement ne prend néanmoins pas vraiment de risque. En effet, il est très peu probable que la motion de censure proposée par la droite soit votée. Il faudrait, pour que celle-ci recueille la majorité, qu'elle soit votée par toute l'opposition de droite, le Front de Gauche, EELV (le parti écologiste, qui n'en a pas l'intention) et 19 députés socialistes. 

Néanmoins, on imagine mal les députés socialistes voter une motion qui obligerait un gouvernement socialiste à démissionner. Ils pourront en revanche s'abstenir. En effet, les seules voix qui comptent dans le vote d'une motion de censure sont les voix pour. Ainsi, en s'abstenant, les députés socialistes pourraient marquer leur opposition au projet de loi tout en préservant leur gouvernement (voir l'analyse du journal Le Monde, par Nicolas Chapuis). 

Si on se place donc d'un point de vue stratégique, on peut dire qu'en recourant à l'article 49.3, le gouvernement Valls prend peu de risques. L'opinion publique, y compris les électeurs socialistes, est favorable au texte de loi. Finalement, le seul risque pour le gouvernement est d'affaiblir sa propre légitimité en faisant voir les fortes divisions au sein de la majorité (voir une autre analyse du journal Le Monde, par Thomas Wieder), mais celles-ci sont déjà connues de longue date.

 

Pour approfondir:

On peut trouver la composition de l'Assemblée nationale sur son site, sous la forme d'un hémicycle et d'un tableau.

Nicolas Chapuis, "Recours au 49-3 sur la loi Macron: ce qu'il va se passer à l'Assemblée et pour le gouvernement", Le Monde en ligne, 17 février 2015.

Thomas Wieder, "En recourant au 49-3, le gouvernement passe en force sans jouer sa peau", Le Monde en ligne, 17 février 2015.

Article 49-3 et légitimité démocratique

Deux types de critiques sont faites dans la presse à la décision prise par Manuel Valls de recourir à l'article 49-3.

La première est celle du manque de sincérité: la presse de droite et de gauche rappelle les propos tenus par François Hollande (Président socialiste de la République) à l'époque où il était député d'opposition lorsque le gouvernement Villepin (de droite) avait eu recours au 49-3: il avait alors parlé d'un "déni de démocratie".

Néanmoins, cette critique, tout en étant vraie (c'est-à-dire conforme aux faits), n'épuise pas le problème. Elle est même naïve, car elle fait comme si nous ne savions pas que la vie politique était affaire de stratégie et non de sincérité. La preuve, c'est qu'elle est brandie à la fois par la droite (voir l'article du Figaro, journal de droite) et la gauche (voir les articles de Mediapart et de Libération, journaux de gauche).

La seconde critique, plus profonde, est celle qui porte sur le déni de démocratie lui-même. Plus profonde, parce qu'elle ne porte pas sur un événement donné (l'utilisation du 49-3) mais sur le fonctionnement même, inscrit dans la Constitution, du régime démocratique de la Vè République.

En effet, en autorisant ce genre de manipulation politique, la Constitution dé-saisit le Parlement, directement désigné par les électeurs, de son contrôle sur les décisions législatives au profit du gouvernement, désigné (le Président le nomme en s'appuyant sur la composition du Parlement) et non élu.

Cette faille de la démocratie étant connue, un gouvernement qui s'en sert se condamne forcément à une perte de légitimité. Mais il contribue surtout à alimenter le discours de ceux qui disent que les hommes politiques sont "tous pourris". La question de la sincérité ou non de François Hollande est anecdotique. Ce qui l'est moins, c'est que quelque chose dans le fonctionnement même des institutions de la Vè République peut tendre à décourager les citoyens de s'intéresser à la vie politique, voire à les entraîner vers des choix politiques anti-démocratiques.

 

Pour approfondir

Maxime Bellec, "Le recours au 49-3, un déni de démocratie quand c'est la droite qui l'utilise", Le Figaro en ligne, 18 février 2015.

Mathilde Mathieu, "Le 49-3, ce déni de démocratie", Mediapart.fr, 17 février 2015.

"49-3: quand François Hollande Fustigeait un déni de démocratie", Libération en ligne/AFP, 17 février 2015. 

 

Mise à jour, le 11/05/2016

Face à la très forte opposition que suscite le projet de loi El-Khomri, qui propose une réforme du droit du travail, le Premier ministre Manuel Valls décide d'avoir recours à l'article 49-3.

Voir l'article de Bastien Bonnefous et Hélène Bezmekian: "Loi Travail": un 49.3 de guerre lasse pour Manuel Valls, 11/05/2016, LeMonde.fr.


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