Les élections départementales de 2015 apportent plusieurs nouveautés, que ce soit dans le mode de désignation des conseillers ou dans la reconfiguration des rapports de forces politiques en
France.
Une élection nouvelle
Les départementales 2015 tombent au milieu d'une réforme territoriale composée de 3 volets:
-la modernisation de l'action publique territoriale et l'affirmation des métropoles
-la réduction du nombre de régions de 22 à 13
-le projet NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République), qui affecte les compétences des différentes collectivités (régions, départements, communes).
C'est la loi 2013-403 du 17 mai 2013 qui décide de l'organisation des premières élections départementales, qui remplacement les anciennes élections cantonales et qui ont lieu les 22 et 29 mars 2015.
Les principales préoccupations de cette nouvelle élection sont:
-La parité intégrale homme-femme (actuellement, les conseils généraux sont les assemblées les moins paritaires, avec seulement 14% de femmes, contre 48% dans les conseils régionaux, qui sont les assemblées les plus proches de la parité intégrale).
-Une meilleure prise en compte de la répartition de la population sur le territoire et une réduction des disparités de population entre cantons d'un même département.
Avant 2015: élections cantonales
4035 cantons
1 élu par canton, appelé conseiller général
Scrutin majoritaire uninominal à deux tours
Mandat de 6 ans
Élection pour 3 ans, renouvellement de moitié tous les 3 ans
2015: élections départementales
2054 cantons
2 élus, un homme et une femme, par canton, appelés conseiller et conseillère départementaux
Scrutin majoritaire binominal à deux tours
Mandat de 6 ans
Élection pour 6 ans.
Pour approfondir:
Le déroulement et la nouvelle organisation des élections départementales, sur le site du ministère de l'Intérieur.
La réforme territoriale, sur le site du Gouvernement.
Les Décodeurs, "Cinq choses à savoir sur les élections départementales", Le Monde.fr, 11/02/2015. Cet article contient une animation présentant la nouvelle organisation des élections.
Une élection locale "nationalisée"
Les élections départementales appartiennent au groupe des élections locales: généralement, les électeurs désignent leurs représentants territoriaux en fonction d'enjeux locaux, de problèmes
directement liés au territoire dans lequel ils habitent.
Mais les enjeux de la campagne 2015 des départementales sont en fait des enjeux nationaux. Cette "nationalisation" (transformation en élection nationale) d'une élection locale est en partie le résultat d'un calcul politique de la gauche: le gouvernement socialiste, en difficulté et déjà perdant des municipales de 2014, a misé sur la menace d'une montée du Front national pour mobiliser les électeurs. Le Front national, comme d'ailleurs la droite, ont en revanche fortement investi leur campagne d'une dimension critique: il s'agissait de protester contre la politique du gouvernement en place. Les appels du Front national à exprimer son mécontentement ne relevaient pas seulement d'une stratégie politique habituelle de dénigrement de l'adversaire. Il s'agissait, en votant Front national, de dénoncer les difficultés économiques, la politique de l'Union européenne et les partis traditionnels, coupables de ne rien faire pour changer la situation. C'étaient donc un appel à un vote sanction.
C'est sans doute cette "nationalisation" de l'élection qui explique le taux d'abstention de 49.8%. Ce taux est certes plus élevé qu'aux dernières cantonales mais plus faible que celui que tout le monde attendait pour une élection nouvelle, dont beaucoup de Français ignorent les règles et dans laquelle une majorité des candidats (en particulier les femmes) sont nouveaux.
Dans ce contexte d'une élection locale dont les électeurs semblent s'être emparés pour transmettre au gouvernent un message politique national, une nouvelle donne politique semble s'exprimer.
Pour approfondir:
"Résultat des départementales: les sondages avaient surestimé l'abstention et le vote Front national", Le Monde.fr, 23/03/2015. Lire.
Les forces en présence
Les différentes forces politiques ont dû, dans chaque canton, proposer quatre candidats (deux titulaires et deux suppléants). Cela les a amenées, pour pouvoir s'assurer le plus de candidatures possibles, à nouer des alliances avec des forces proches, à l'intérieur de la droite et de la gauche. Seuls le Front National (FN) et Debout la République (qui recueille un pourcentage quasi-nul des voix) n'ont pas contracté d'alliances.
C'est pourquoi il est difficile de comprendre les résultats des élections sans prendre en compte les alliances. Le tableau des résultats proposé sur le site du ministère de l'Intérieur donne ainsi l'impression d'un très fort émiettement et rend difficile la compréhension des rapports de force. C'est pourquoi on se référera ici aux résultats présentés par les politistes (voir Glossaire) du groupe de travail Slowpolitix, qui prennent en compte à la fois les alliances (qui sont le fait des partis de gauche) et les positionnements par rapport aux deux partis dominants que sont le PS (Parti socialiste) et l'UMP (Union pour un Mouvement populaire).
La droite était représentée par deux types de formations: à l'extrême-droite, le FN, pour la droite modérée, l'UMP, l'Union des Démocrates et Indépendants (UDI) et le Mouvement démocrate (Modem). Si ces formations de droite modérée pouvaient occasionnellement être en concurrence, elles présentaient en fait une certaine unité : l'UDI et le Modem ne cherchaient pas à contester la position dominante de l'UMP. Au premier tour, l'ensemble de ces forces, présentes dans la quasi-totalité des cantons, ont totalisé 33% des votes. Quant au FN, présent dans 95% des cantons, il totalise 25.7% des votes.
La gauche présentait en revanche une situation plus complexe, puisque les partis de gauche ont pu se présenter de manière autonome ou en alliance avec le PS. Cette complexité est importante à prendre en compte pour deux raisons. D'abord, une partie de la gauche, représentée par le Front de gauche (FG) et Europe Ecologie-Les Verts (EELV), s'est placée dans une situation d'opposition vis-à-vis de la politique et des valeurs défendues par le gouvernement socialiste. Ensuite, les candidatures et les résultats des diverses forces de gauche ne présentent pas un paysage unifié. L'extrême-gauche est quasi-absente de l'élection. Le parti socialiste, en alliance avec le parti Radical de gauche, totalise 20% des voix, presque 24% si on compte en plus les alliances du PS avec EELV et/ou le parti communiste (PCF). L'ensemble des partis de gauche autonomes (qui ont présenté des candidats dans le soutien du PS), EELV, Parti communiste (PCF), FG, ensemble ou séparément, remportent 10% des voix. Enfin, ce succès est plutôt celui du FG, qui totalise, seul ou avec EELV, plus de 8% des voix.
Pour approfondir:
Résultats du premier tour des élections départementales 2015 sur le site du ministère de l'Intérieur.
Collectif, "Les résultats du premier tour des élections départementales des 2015", Slowpolitix, 25/03/2015. Lire.
Une nouvelle donne politique?
A l'échelle du quinquennat de François Hollande, les départementales 2015 apparaissent, dès le premier tour, comme une défaite de la gauche, qui vient confirmer celle des municipales 2014. Cette
défaite n'est pas seulement celle des socialistes, mais plus largement de l'ensemble de la gauche, avec un fort recul d'EELV et un score inférieur à 10% (mais pas en baisse) pour le
FG.
A l'échelle de la Vè République, elles semblent confirmer la normalisation du vote FN. Ce parti part dès le premier tour avec 8 élus et se qualifie pour le second tour dans la moitié des cantons.
Jusqu'à une date très récente, le vote Front national, considéré comme un vote extrême, était stigmatisé et marginalisé. Les départementales de 2015 confirment son enracinement dans le paysage
politique, déjà marqué par son score aux élections européennes et municipales de 2014.
On peut alors se demander si la Vè République n'est pas en train de voir une évolution politique majeure: la fin du bipartisme. En effet, sans qu'il y ait en France, comme par exemple aux Etats-Unis, un monopole de deux partis (les Démocrates et les Républicains) , deux forces politiques dominaient encore récemment: les socialistes (actuellement au pouvoir) et la droite libérale (actuellement dominée par l'UMP). Or si le premier tour des départementales semble annoncer une victoire de la droite libérale, il se marque aussi par la consolidation d'une troisième force: le FN.
Mais la plupart des élections en France se déroulent au scrutin uninominal à deux tours. De ce point de vue, on peut s'interroger sur l'adéquation entre les modes de scrutins, décidés par ceux qui ont le pouvoir (le Parlement élu et l'exécutif) et le comportement des électeurs, qui semblent imposer un tripartisme (la domination de trois partis) de fait. Au-delà, se pose le problème d'un fossé qui semble se creuser entre la classe politique traditionnelle et une partie croissante des électeurs, qui pour exprimer un malaise économique, social et politique, se reportent sur un vote qui n'est pas seulement en contradiction avec les valeurs de la classe politique dominante mais de la République et de la démocratie .
Pour approfondir:
Eric Roger, "Les électeurs imposent le tripartisme malgré le mode de scrutin", Le Monde.fr 24/03/2015. Lire (édition abonnés).
Thomas Wieder, "Le tripartisme s'installe en France", Le Monde.fr, 23/03/2015. Lire (édition abonnés).
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