Le choc d’un film tourné avec les petits réfugiés du Liban vient nous rappeler que la France a eu elle aussi, il y a moins longtemps qu’on ne le croirait, ses petits vagabonds. La IIIè République a voulu penser l’enfant comme un sujet de droits et le futur citoyen d’un régime démocratique. L’école de la République a voulu éduquer les individus à leur propre dignité. Pourtant l’assistance aux enfants les plus démunis continuait à les confondre avec les délinquants.
Si loin et pourtant si près…
Repas du soir. Mobilier hétéroclite autour d’une table basse dans la pièce commune d’un taudis d’une banlieue misérable. Le père, la mère et une marmaille dépenaillée. Le petit garçon a une douzaine d’années. Il a trimé toute la journée chez l’épicier du quartier. Il demande s’il ne pourrait pas aller un peu à l’école. Le père dit qu’il n’en est pas question. Qui va travailler pour nourrir la famille ? La mère prend le parti de l’enfant. L’association qui tient l’école aide les familles. L’enfant rentrerait chaque soir avec des vêtements et de la nourriture. Il n’arrêterait pas son travail. On demanderait juste au patron de décaler les horaires. Le père dit qu’il va réfléchir. Le petit garçon n’ira pas à l’école. Il finira à la rue puis en prison.
Le petit Gavroche ne vient pas d’un roman du XIXè s., mais d’un film libanais, Capharnaüm, réalisé par Nadine Labaki et sorti en France en octobre 2018. La réalisatrice y décrit avec pudeur et justesse tout un monde de l’indigence, de la débrouille, de l’exploitation, de l’illégalité. Un monde où se côtoient les réfugié.e.s venu.e.s de Syrie, d’Afrique de l’Est ou d’Asie. Loin des débauches d’argent de Beyrouth-centre et du littoral touristique, dans un des pays du Moyen-Orient où on les attendait peut-être le moins, des enfants livré.e.s à la misère de la rue et à la violence des adultes, une image de ce qu’on appelait autrefois le tiers-monde et qu’on associe aujourd’hui aux Suds, aux Pays en développement (PED), voire aux Pays les moins avancés (PMA). Car dans notre société occidentale avancée, la prise en charge de cette misère enfantine s’est faite progressivement au XIXè s., à mi-chemin entre charité et contrôle, protection de l’enfance et projet socio-politique d’une république démocratique. En France, à l’âge industriel, la prise en charge de l’enfance par les pouvoirs publics s’est construite sous deux formes contradictoires qui, oscillant entre charité et contrôle, se sont traduites à la fois dans l’école et la prison.